Premières lignes #2

Strictement parlant, Yadriel ne s’introduisait pas dans une propriété privée puisqu’il avait vécu toute sa vie dans le cimetière. Mais pénétrer par effraction dans l’église franchissait sans le moindre doute la frontière des ambiguïtés morales.

Toutefois, s’il devait enfin prouver qu’il était un brujo, il se devait d’accomplir le rituel devant Notre Dame la Mort.

Et elle l’attendait à l’intérieur de l’église.

La thermos noire remplie de sang de poulet lui battait contre la hanche tandis qu’il longeait discrètement la petite maison de sa famille devant le cimetière. Il avait rangé le reste des ingrédients de la cérémonie dans son sac à dos. Sa cousine Maritza et lui se baissèrent pour passer sous les fenêtres en façade, prenant garde à ne pas se cogner le crâne aux rebords. Des silhouettes de brujx en train de faire la fête à l’intérieur dansaient sur les rideaux. Leurs rires et des rumeurs de musique débordaient dans le cimetière. Yadriel marqua un temps d’arrêt, accroupi dans l’ombre pour vérifier que la voie était libre avant de bondir de la véranda pour filer. Maritza le suivit de près, ses pas faisant écho à ceux de Yadriel tandis qu’ils couraient dans les allées de pierre à travers les flaques.

Le coeur de Yadriel palpitait dans sa poitrine, ses doigts caressant au passage la brique humide du mur d’un columbarium en guettant le moindre signe des brujos de garde ce soir. Patrouiller dans le cimetière pour veiller à ce qu’aucun esprit des morts ne crée de problème faisait partie des responsabilités des hommes. Les esprits qui viraient maligno étaient extrêmement rares, aussi les rondes des brujos consistaient-elles surtout à garantir qu’aucun intrus n’avait franchi les murs, à nettoyer les tombes des mauvaises herbes et à des travaux d’intérêt général.