
Ce rendez-vous a été créé par Ma Lecturothèque. Le principe est de vous partager, chaque semaine, les premières lignes d’un livre que l’on choisit.
Cette semaine, je vous emmène aux côtés de Rose, l’héroïne de Widowland de CJ Carey.
Lundi 12 avril 1953
Un vent mordant soulevait les drapeaux qui pavoisaient les édifices gouvernementaux dans une parodie apathique de fête. Le long de Whitehall depuis Trafalgar Square, ils s’agitaient comme une onde, prêtant aux austères bâtisses ministérielles des allures de fleuve rouge sang. Leur teinte écarlate éclaboussait crûment le paysage d’aquarelle de Londres, s’invitant sur les façades victoriennes assombries de poussière et la pierre marquetée du bâtiment de la Garde à cheval, le brun-roux des maisons Tudor et les briques rougeâtres du quartier d’Holborn, et jusqu’au dessin carré des places médiévales du Temple. Partout, l’éclat péremptoire noyait les gris et marron anciens de la ville, faisait table rase des nuances d’ocre et de rose.
Le grand jour approchait et les préparatifs de fête semblaient ne devoir jamais finir. On accrochait des décorations tout le long de la Tamise. Des banderoles s’entrelaçaient entre les platanes et des rubans s’enroulaient aux balustrades victoriennes en fer forgé de l’Embankment. Même la Chambre des communes était accoutrée telle une reine douairière dans un claquement de fanions et de drapeaux.
Chaque échoppe arborait son portrait royal en vitrine, encadré avec goût, et chaque taxi remontant Whitehall déployait sur son capot une bannière aux couleurs de la nation.
La présence de drapeaux n’avait rien d’inédit sous le Protectorat. Aux débuts de l’Alliance anglo-saxonne, l’emblème en vigueur – un A noir sur fond rouge – s’affichait devant chaque bâtiment. Du reste, à peine hissés à leur mât, les drapeaux étaient saccagés, réduits en charpie et abandonnés dans des flaques d’eau. La profanation du drapeau ne tarda pas à être assimilée à un acte de trahison passible de la peine de mort et l’ordre fut édicté selon lequel tout individu coupable de dégradation serait pendu de la hampe même à laquelle il s’en était pris – un moyen de dissuasion tout aussi macabre qu’inefficace. Passé l’effet de choc, les Londoniens prêtèrent autant d’attention aux cadavres pendus en l’air que leurs ancêtres avaient pu le faire aux têtes plantées sur des piques au-dessus de la porte du pont de Londres.
Mais c’était autrefois.
Bien des choses peuvent changer en l’espace de treize années.
Widowland, CJ Carey.
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